Marie LIANDIER , Poète et Romancière

DIS MAMAN C'EST QUOI UN POETE ?

 

« DIS MAMAN, C'EST QUOI  UN POETE ?

Comme nous franchissions le panneau d'arrivée de la commune de Marmanhac, la voix claire de ma fille retentit dans l'habitacle de la voiture me sortant de mes pensées. «  Maman, ça veut dire quoi le cœur de la vallée des poètes ? » Le cœur de la vallée des poètes, la vallée du cœur des poètes, les poètes de cœur de la vallée… Voilà, ma vieille manie de jouer avec les mots me reprend…comment lui expliquer, par quoi commencer…les poètes, la poésie…la vallée ou le cœur…Je crois qu'au fond tout est dans ces mots…Rêveur, maudit, romantique, fantaisiste et enfantin, le poète revêt mille facettes. Acrobate des mots et des émotions, il manie la prose et la rime, le rythme la musique, l'endroit et l'envers des mots.Ici le terreau de l'Authre inspire, le terreau nourrit, respire la poésie. Le calme invite au voyage intérieur. Le cadre est là, reste à le remplir et à choisir pour le faire les mots et les sons qu'il faut.Quelques hommes qu'on appelle poètes ont respiré et traduit ce terroir, marquant l'histoire de la littérature, et imprimant sur Marmanhac et ses alentours la marque d'un espace à part. Un espace où l'art se cache un peu partout et vous appelle… La preuve !

Bien que natif de Murat, Camille GANDILHON GENS D'ARMES a longtemps habité au hameau de Vercueyres. Une habitante du village se souvient:
« Il portait une petite barbichette, un chapeau et marchait d'un pas sûr et d'une démarche impérieuse.
Sa femme, grande et vêtue de toilettes sobres, portait un ruban en velours à son cou, un chignon, ce qui lui donnait un air strict et autoritaire. Elle nous faisait le catéchisme dans la grande pièce de leur maison familiale de Vercuères. Il est mort alors que j'avais 12 ans, en 1948. Malgré des airs rigoureux, cette famille était extrêmement chaleureuse.»

C'est lui qui a donné ce joli nom à notre vallée, en mémoire de tous les poètes à qui elle a donné le jour, où qu'elle a accueillis en terre d'adoption, en pensant notamment à l'Abbé Joseph PATISSON, à Fernand PRAX et bien d'autres.

Plus j'y pense, plus j'en parle et plus les noms me reviennent : Emile Benech (Mont Durel), Auguste Bancharel (Reilhac), Jean-Marie Gaston (Vercuères).

Tu vois tous ces gens sont sortis d'ici, comme on dit, de la vallée de l'Authre, ou bien y ont vécu et ils ont porté loin la fierté de notre terroir ! C'est pour ça qu'on l'appelle la vallée des poètes ! Ils sont poètes parce qu'ils ont écrit des poèmes.

MAIS MAMAN, C'EST QUOI EXACTEMENT UN POEME ?

J'aurais du m'en douter, avec les enfants, une question en entraîne toujours une autre…et l'insatiable curiosité de ma fille pousse toujours plus loin les explications.

Il me semble que j'ai toujours su ce qu'était un poème, et pourtant il y a de la poésie dans tellement de choses qui ne sont pas des poèmes…j'ai lu des pages entières de proses qui étaient de la pure poésie, j'ai vu des paysages ou écouté des musiques qui en étaient si proches...

Mais ma fille est comme le petit prince de St Exupéry, tant qu'elle n'a pas de réponse, elle repose les questions… en boucle… impossible de se défiler…

Un poème naît d'une rencontre, d'une promenade solitaire, d'un regard attrapé au détour d'une rue, de la découverte d'un paysage, d'une prise de conscience, d'une perte, d'un amour, d'une douleur, d'une errance.

Vous l'aurez compris les poèmes sommeillent en chacun de nous, au détour de chacune de nos vies. Le tout est d'essayer, d'oser… coucher sur le papier les émotions qui nous submergent.

Pour aimer le poème, il faut d'abord aimer les mots, mais il faut aussi aimer la musique.
Un poème n'a pas pour objet de faire passer un message direct et froid, comme le font les publicités ou les discours, mais de faire partager un ressenti. Un poème, c'est le fond et la forme qui s'entremêlent dans les lignes, c'est les yeux, la main et le cœur du poète.

Nous y voilà…le cœur…le poème est une respiration !


Un poème prend la forme de celui qui l'écrit, de celui qui le lit et qui le dit à haute voix. Les mots sur le papier se réinventent dans les yeux du lecteur et se transforment à nouveau dans la bouche de celui qui prend la peine de le dire.

Lisez les poèmes à haute voix, vous entendrez alors le pouvoir magique des mots mis en musique par votre voix et votre respiration et vous ressentirez la part importante du rythme qui donne tout le relief au texte !

Un poème c'est un espace de liberté, mais aussi un laboratoire du langage, un lieu de subversion qui brise les codes et les cadres habituels.

En poésie tout est permis ! On peut TOUT dire et de TOUTES les façons, puisque c'est d'émotions qu'il s'agit !

 

Cependant, comme pour les autres formes d'art, si la lecture d'un poème semble fluide et facile, sa conception est le plus souvent issue d'un long travail d'orfèvre qui obéit à quelques règles, la versification, dont voici les bases principales.

 

 

Les différents types de rimes, c'est un peu le guide michelin de la poésie, qui distribue les étoiles aux poètes qui se sont le plus décarcassés…

La prosodie :c'est-à-dire le décompte syllabique

 Ce travail de conception n'a guère d'effet sur la qualité émotionnelle ou littéraire du texte, il permet surtout de repérer un auteur ou une époque car chaque poète a choisi, innové ou déjoué ces règles qui doivent d'abord servir de piédestal aux mots et aux émotions. Mais il est vrai qu'un poème est un harmonieux alliage de lettres sur fond de mathématique !

J'ai choisi pour illustrer les différents styles, des poètes références et des vers célèbres que je vous invite à découvrir plus en profondeur durant les longues soirées d'hiver qui ne manqueront pas d'arriver...

 Les types de rimes

Tout le monde sait ce qu'est une rime : un jeu sur les sonorités identiques répétées à la fin d'au moins deux vers. Tous les enfants ont au moins une fois joué au poète avec le fameux « poil au nez ! » ou « poil au bras ! »

Donc au départ rien de compliqué. Puis au fil de l'histoire, les poètes ont peu à peu défini les règles qui régissent le maniement de la rime. On peut distinguer deux notions essentielles : la disposition et la richesse des rimes.

La richesse d'une rime est déterminée par le nombre de sons communs qu'elle porte et par son genre (masculin ou féminin).

Rimes suivies : AABB

Les rimes sont suivies (ou plates) quand elles se suivent directement.
Exemple :

"Dans un mois, dans un an, comment souffrirons-nous, (A)
Seigneur, que tant de mers me séparent de vous ? (A)
Que le jour recommence et que le jour finisse, (B)
Sans que jamais Titus puisse voir Bérénice..." (B)


Rimes croisées : ABAB

Les rimes sont croisées en cas d'alternance deux par deux.
Exemple :

"Voici plus de mille ans que la triste Ophélie (A)
Passe, fantôme blanc sur le long fleuve noir (B)
Voici plus de mille ans que sa douce folie (A)
Murmure sa romance à la brise du soir." (B)


Rimes embrassées : ABBA

Une rime est embrassée quand elle est encadrée par une autre.
Exemple :

Quand vous serez bien vieille, au soir, à la chandelle, (A)
Assise auprès du feu, dévidant et filant, (B)
Direz, chantant mes vers, en vous émerveillant : (B)
« Ronsard me célébrait du temps que j'étais belle ! » (A)
(Pierre de Ronsard, (Sonnet à Hélène)

Rime féminine

Une rime est féminine lorsque la dernière voyelle accentuée est suivie d'un e caduc, c'est-à-dire un e muet. Il peut se lire : e, es, ent.
Exemples : absence, âges, dorment etc.

Rime masculine

Une rime est masculine lorsque le mot final se termine par toutes les autres terminaisons.
Exemples : dehors, amour, félicité, ouvert, tombeau etc.

Dans toutes les formes « traditionnelles » de poésie (le sonnet par exemple), les rimes sont organisées selon un principe d'alternance entre rime féminine et rime masculine.
Exemple :
"Dans un mois, dans un an, comment souffrirons-nous,
Seigneur, que tant de mers me séparent de vous ? (rime masculine)
Que le jour recommence, et que le jour finisse,
Sans que jamais Titus puisse voir Bérénice... (rime féminine)


Rime pauvre

Une rime est pauvre quand il n'y a qu'un élément vocalique commun (la dernière voyelle) ou quand il s'agit d'une simple proximité phonétique, on peut alors parler d'assonance.
Exemples :
V
oie / joie : rime pauvre
F
oire / toile : assonance

 "Ô bruit doux de la pluie
Par terre et sur les toits !
Pour un cœur qui
s'ennuie
 Ô le chant de la pluie !"


Rime suffisante

Une rime est suffisante lorsqu'il a deux phonèmes en commun, dont la dernière voyelle.
Exemples : boire / gloire

"Dieu parle, il faut qu'on lui réponde
Le seul bien qui me reste au
monde..."


Rime riche

Une rime est riche lorsqu'elle contient trois phonèmes en commun ou plus, dont la dernière voyelle.
Exemple :
« Tes pas, enfants de mon silence,
  Saintement, lentement p
lacés,
  Vers le lit de ma vig
ilance
  Procèdent muets et g
lacés. »
(Paul Valéry, Les pas)

 LA PROSODIE : UN, DEUX, TROIS, ON COMPTE SUR SES DOIGTS !

 J'adorais ce jeu quand j'étais enfant et ma fille aujourd'hui ne boude pas son plaisir. Pour l'instant peu importe le sens, elle récite les vers en scandant les mots et vérifie sur ses doigts si le poète ne s'est pas trompé… « Je chan-tais-ne-vous-dé-plaise ! ça fait 7 ! Vous-chan-tiez-j'en-suis-fort-aise ! encore 7 !  et-bien-dan-sez-main-te-nant ! 7 aussi ! » Ca marche !

Et oui ! ça marche ! parfois c'est moins évident, le vers se fait plus hermétique, le rythme dérange…chez certains auteurs, comme Alfred JARRY, le choix de la rupture de rythme permet de faire ressentir le tourment, ou de mettre certains mots en exergue.

Dans tous les cas le choix de la prosodie définit la mélodie du texte.

Commençons par le commencement: n'ayez pas peur des mots, c'est juste du grec…en pratique c'est très simple. Il suffit de savoir compter jusqu'à douze!

Le monosyllabe(vers de 1 syllabe),le dissyllabe(2 syllabes) et le trisyllabe (3 syllabes) sont extrêmement rares.


Exemple :

" Pris
dans l'eau calme de granit gris,
nous voguons sur la lagune dolente.
Notre gondole et ses feux d'or
dort
lente.
 
Nef
dont l'avant tombe à pic et bref,
abats tes mâts, tes voiles, noires trames;
glisse sur les flots marcescents
sans
rames..."
(Alfred Jarry, Les Minutes de sable mémorial)

Le tétrasyllabe (vers de 4 syllabes) est souvent utilisé dans une décomposition en plusieurs vers de l'alexandrin : 4/4/4. évidemment 3 fois 4 égale 12! je vous l'avais dit c'est mathématique!
Exemple :

"La lune blanche
Luit dans les bois ;
De chaque branche
Part une voix
Sous la ramée..."


Le pentasyllabe (vers de 5 syllabes).
Exemple :

" Elle est retrouvée.
Quoi ? - L'Éternité.
C'est la mer allée
Avec le soleil. "


L'hexamètre (vers de 6 syllabes) est le plus souvent utilisé comme une moitié d'alexandrin.
Exemple:

"Semez, semez la graine,
Je connais la chanson
Que chante la sirène
Au pied de la maison..."


L'heptasyllabe (vers de 7 syllabes) est très rare. Il a très souvent été utilisé par Paul Verlaine qui revendiquait sa préférence pour les vers impairs.
Exemples :

"Et quand, solennel, le soir
Des chênes noirs tombera,
Voix de notre désespoir,
Le rossignol chantera."
 

 

 L'octosyllabe (vers de 8 syllabes). Ce rythme est un des plus utilisés avec l'alexandrin. La mélodie permet une lecture souple avec un temps de respiration qui donne un aspect d'équilibre et de fluidité à l'ensemble.
Exemple:

"Je ne crains pas les coups du sort,
Je ne crains rien, ni les supplices,
Ni la dent du serpent qui mord,
Ni le poison dans les calices,
Ni les voleurs qui fuient le jour,
Ni les sbires ni leurs complices,
Si je suis avec mon Amour."
(Germain Nouveau, Amour)

L'énnéasyllabe (vers de 9 syllabes) a souvent été mis à l'honneur par Verlaine, adepte, nous l'avons vu, des vers impairs.

 Exemple:

" De la musique avant toute chose,
Et pour cela préfère l'Impair
Plus vague et plus soluble dans l'air,
Sans rien en lui qui pèse et qui pose."
(Paul Verlaine, Jadis et Naguère)

Le décasyllabe (vers de 10 syllabes).
Exemple:

" Ce toit tranquille, où marchent des colombes,
Entre les pins palpite, entre les tombes;
Midi le juste y compose de feux
La mer, la mer, toujours recommencée !
O récompense après une pensée
Qu'un long regard sur le calme des dieux ! "


L'hendécasyllabe (vers de 11 syllabes).
Exemple:

"Ce soir je m'étais penché sur ton sommeil.
Tout ton corps dormait chaste sur l'humble lit,
Et j'ai vu, comme un qui s'applique et qui lit,
Ah ! j'ai vu que tout est vain sous le soleil !"


12! L'alexandrin

Le vers de douze syllabes ou plus communément appelé alexandrin est un vers parfaitement équilibré. Il comporte en effet un temps fort sur sa sixième syllabe qui scinde le vers en deux parties égales (de six syllabes) que l'on nomme hémistiches. Cette coupe entre les deux hémistiches s'appelle la césure.
L'alexandrin est considéré comme le grand vers de la poésie classique, c'est d'ailleurs le seul qui ait un nom propre. L'Alexandrin est aussi le vers préféré de la tragédie.

"Ce soir, la lune rêve / avec plus de paresse
6 syllabes / 6 syllabes
Ainsi qu'une beauté, / sur de nombreux coussins
6 syllabes / 6 syllabes
Qui d'une main distraite / et légère caresse
6 syllabes / 6 syllabes
Avant de s'endormir / le contour de ses seins..."
6 syllabes / 6 syllabes

 

La mélodie est douce, voluptueuse, lascive…

Mais au-delà de ces quelques règles, la poésie est avant tout un rapport différent au monde, un état d'esprit, une attitude. Elle est le lien commun entre tous les artistes quelle que soit leur formation ou leur art, du peintre au sculpteur, du joueur de guitare au danseur de flamenco, de Baudelaire à Brassens, de Dali à Grand corps malade.

Les poèmes sont de purs moments de magie… Ils font partie des lectures qui nous modifient en profondeur. Ils peuvent toucher l'âme de celui qui les croise même sans y être initié.

Ecrire un poème c'est jouer avec les mots, les sons et le rythme pour retrouver et fixer l'émotion. Chacun d'eux est comme un petit bijou unique.

Ecrire un poème, c'est devenir un « alchimiste » comme disait Rimbaud.

Lire un poème pour soi, c'est entrer dans l'histoire des sentiments, du trouble, de l'émotion, du voyage intérieur. C'est un moment que personne ne pourra vous voler.

Lire un poème à quelqu'un d'autre, c'est ouvrir une partie de son cœur, c'est créer un lien entre les âmes, c'est un partage intime… alors enivrez-vous de ces lectures sans modération et entrez au plus profond de l'âme des poètes…chut…ma fille s'est endormie, je suis sûre qu'elle fait de beaux rêves, jusqu'à sa prochaine question…



29/12/2012
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